La sueur semble vaporisée, les paillettes sorties des archives : Dsquared² fête ses 30 ans – et l’ivresse d’autrefois a perdu sa chaleur. La ferveur d’hier s’est figée en pose.
La fin de la provocation
Ce qui passait jadis pour une transgression est désormais une routine. Deux hommes qui s’embrassent sous les projecteurs ne choquent plus : c’est devenu un symbole inoffensif, presque décoratif. La nouvelle campagne de Mert & Marcus évoque une époque où Dsquared² était tout sauf retenue : bruyante, surchauffée. Les photographes déclenchent, mais la détonation n’a plus lieu. À l’époque, la marque incarnait un désir queer, assuré de lui-même, pour l’excès – l’énergie plutôt que la pose. Aujourd’hui, ce langage ressemble à la citation de lui-même : un geste que plus personne ne veut ou ne doit interpréter, parce qu’il a perdu sa force et prend la poussière dans les archives des poses.
L’écho des années 2000
Fondée en 1995 par les jumeaux canadiens Dean et Dan Caten, Dsquared² est devenue au début des années 2000 ce que Diesel avait été dans les années 1990 : une marque incarnant un certain mode de vie. Tandis que Diesel représentait l’ironie, la poussière et l’anticonformisme, Dsquared² symbolisait les nuits de club, le culte du corps et une masculinité excessive. Les deux vivaient de la promesse de liberté – l’idée que les vêtements pouvaient offrir une échappatoire au monde des bien-pensants. Mais cette promesse s’est vidée. L’excès est devenu un principe de design, la rébellion une stratégie de marque. Ce qui autrefois paraissait dangereux est aujourd’hui calculé et prévisible.
La perte de contrôle mise en scène
Les nouvelles images de la campagne FW25 sont techniquement solides, mais sans âme. Chaque ombre est arrangée, chaque geste calculé. Ce qui autrefois naissait de la joie de la spontanéité n’est plus que son ombre commerciale. Le chaos nécessaire à la véritable inspiration n’existe plus que comme effet de lumière. La sueur brille comme un décor – autrefois elle coulait vraiment, aujourd’hui elle ressemble à du CGI. Le désir est esthétiquement orchestré. C’est une perte de contrôle mise en scène, où la lumière n’éclaire plus que sa propre innocuité. La marque fait semblant d’embrasser la nuit, mais celle-ci n’est qu’un décor de plus dans le studio.
L’énergie épuisée
Ce type de mise en scène de la mode, vidé par d’interminables répétitions du même placebo scandaleux, est depuis longtemps épuisé – et pas seulement chez Dsquared². Diesel aussi a tenté de sauver sa puissance passée en collaborant avec Nicola Formichetti, le styliste de Lady Gaga. Formichetti a apporté le pop, la fluidité de genre et l’ironie numérique, mais s’est heurté au même problème de fond : la provocation n’est pas durable, elle ne se conserve pas, et à chaque répétition elle exige une dose plus forte. Elle vit du conflit, et seulement tant qu’il y a quelque chose à briser. Aujourd’hui, presque tous les contrastes sociaux ont été débattus et aplanis. Les rares qui subsistent – la guerre et l’inégalité – ne se traduisent pas en images de campagne. La rébellion de Dsquared², autrefois plongée dans les paillettes, est devenue un cadre vide privé de son image.
Le spectacle comme substitut
Pour son trentième anniversaire, les jumeaux Dean et Dan Caten ont transformé un entrepôt milanais en une revue éclatante de leurs propres mythes : Naomi Campbell, Doechii, des patineurs, des cow-boys, des uniformes de la NYPD – et Brigitte Nielsen en policière les menottant tous deux. Un feu d’artifice de citations – de Cher à Tom of Finland, du glamour au kitsch. La scène sentait l’essence, la sueur le parfum. Dsquared² n’a pas célébré l’excès lui-même, mais son souvenir. Tout était parfaitement chorégraphié. Le seul danger qu’il restait : ne plus rien risquer.
Coulisses
Sous la surface lisse commence le bruissement fissuré du réel. En octobre, Dsquared² a annoncé le licenciement d’environ quarante employés – officiellement en raison de « défis profonds et complexes ». Un euphémisme pour un déclin qui dépasse les chiffres. Tandis que la marque continue de parler d’excès et d’insouciance, la lutte s’est déplacée à l’intérieur. Il y a des différends juridiques avec Renzo Rosso concernant les droits de licence, accompagnés du même slogan : « We want to have fun and be ourselves. » Ce qui sonnait autrefois comme une conviction ressemble aujourd’hui à un mantra de survie d’un système consumant sa propre énergie.
La liberté comme décor
Mais l’épuisement va bien au-delà de Dsquared². La mode a perdu sa résistance parce qu’elle n’a plus d’ennemis. Elle est devenue un simple vêtement. Tout est permis, toute esthétique légitimée, toute attitude commercialisable. Même la subversion est devenue un style. Il reste une industrie qui lutte par tous les moyens pour attirer l’attention, mais produit de moins en moins de sens. Dsquared² continue de danser, mais le rythme vient du passé. La fête qui ne devait jamais finir est devenue plus un rituel qu’un mythe. La marque célèbre ses trente ans, mais sonne comme un groupe de reprise d’elle-même. Dsquared² veut être la flamme – sans se rendre compte qu’elle n’est plus que l’allumette déjà consumée.



