En six parties, l’acteur August Zirner parle sur HYPERMADE du langage, de la responsabilité, et de la subtile différence entre expression et effet.
HYPERMADE : Monsieur Zirner, quelles incompréhensions historiques sur l’art et les artistes continuez-vous à rencontrer – et qui ne vous lâchent pas ?
AUGUST ZIRNER : « Les artistes sont juste des narcissiques. » Je pense que c’est une affirmation très réductrice – surtout quand on regarde autour de soi et qu’on voit qui dirige réellement le monde. Ce sont eux les vrais narcissiques. Dans l’histoire de la musique, en revanche, il y a beaucoup d’exemples de compositeurs qui ont travaillé pour des régimes injustes et qu’on a excusés en disant : « Ce n’est qu’un artiste ! » Bien sûr, l’art est quelque chose qui dépasse la politique quotidienne. Mais malgré cela, un artiste a la responsabilité de regarder de près ceux qui lui confient une commande.
HYPERMADE : Pensez-vous qu’il existe des limites morales, éthiques ou sociales qu’un artiste ne devrait jamais franchir ? Ou bien est-ce justement là que réside le défi ?
AUGUST ZIRNER : Un artiste est, avant tout, un être humain. Et une figure publique porte donc une responsabilité.
HYPERMADE : Dans quelle mesure l’art peut-il échapper à la politique – ou bien est-ce que le fait même de créer est déjà un geste politique ?
AUGUST ZIRNER : Tout ce qu’on fait nous relie à notre environnement. En ce sens, tout est politique au final. Même si « politique » est devenu un mot assez instable. On disait autrefois : tout ce que tu fais est politique, donc tout ce qui est artistique l’est aussi. Aujourd’hui, je pense qu’il s’agit plutôt d’essayer de réfléchir et de partager sa relation au monde…
HYPERMADE : Quand on vous écoute – en interview, sur scène, ou à la flûte – on pense parfois à Nikolaï Medtner : un artiste de publicité discrète et de feu intérieur. Vous reconnaissez-vous dans ce genre d’intensité silencieuse ?
AUGUST ZIRNER : Merci de me relier à un compositeur aussi merveilleux – mais non : l’intensité silencieuse, ce n’est pas vraiment mon truc. J’aime être sous les projecteurs, j’aime le public – ce sont encore les restes de mon narcissisme. Le théâtre, la musique, le langage – la scène est le lieu où je rencontre le public. Si j’ai donné l’impression d’être réservé ou timide, c’était probablement une fausse modestie bien calculée.
HYPERMADE : La musicalité comme condition préalable à une bonne parole – une idée que vous avez exprimée. Y a-t-il pour vous des moments où le langage devient musique ?
AUGUST ZIRNER : La musique et le langage se frottent l’un à l’autre comme les principes masculin et féminin. Ils ont besoin l’un de l’autre, dépendent l’un de l’autre, et peuvent se compléter. Et danser ensemble. Il y a quelques années, j’ai joué le Dr. Schuster dans Heldenplatz de Thomas Bernhard. Thomas Bernhard avait une manière incroyablement musicale avec le langage. Son langage porte une musicalité intérieure. Il faut y résister un peu en le parlant, mais on peut compter sur lui pour porter l’arc d’une pensée. J’ai découvert Bernhard assez tard. C’est un peu comme avec Friedrich Schiller : il faut connaître le mètre du langage, mais ne pas le servir. En un sens, on pourrait dire : il faut danser avec le langage.
HYPERMADE : En quoi votre écoute et votre pensée musicales influencent-elles votre jeu d’acteur – votre phrasé, vos pauses, votre voix intérieure ?
AUGUST ZIRNER : Quand j’ai beaucoup joué de la flûte, cela a toujours influencé ma manière de parler. Curieusement, l’inverse est aussi vrai. La manière de former les phrases est essentielle. On développe aussi un sens de la qualité du silence ou des pauses, que ce soit dans la parole ou dans la musique. Avant, je faisais la plupart des choses de façon plus instinctive ou impulsive. Maintenant, en réfléchissant davantage avec l’âge, je me rends compte : le phrasé, la respiration, l’écoute, et la capacité d’attendre – tout cela doit être exercé. Il faut savoir entendre le bon élan. Et l’art est de ne pas attendre trop longtemps, mais de répondre. Parfois même très rapidement !
HYPERMADE : Vous avez joué différents instruments comme le piano et la guitare, mais vous vous êtes finalement concentré sur la flûte. Qu’a fait cet instrument à votre voix – et à votre expression d’acteur ?
AUGUST ZIRNER : Le souffle qui passe par la gorge et donne la voix est le même souffle qui passe entre les lèvres dans la flûte et la fait résonner. Si l’on considère le souffle comme une sorte d’âme, alors il peut devenir un son à l’intérieur d’une flûte ou un discours – ou bien sûr un chant – à travers la gorge et les cordes vocales.
HYPERMADE : En repensant à vos rôles d’acteur – quel est, pour vous, le moment central de l’incarnation ?
AUGUST ZIRNER : C’est certainement le langage, le rythme, le regard et le souffle – mais aussi le fait d’être conscient du partenaire. La personne en face de soi. Le regard du partenaire à l’écoute. La réaction à son vis-à-vis. Et il y a sûrement quelque chose d’autre qui ne peut pas vraiment être nommé. Je ne veux même pas le décrire. Cela a à voir avec la joie. Avec la joie de partager une histoire avec un public. Être sur scène et raconter à travers un personnage.
Écho
C’est peut-être cette tension silencieuse qu’August Zirner désigne quand il parle de rythme – une écoute de l’instant, de ce qui n’est pas dit entre les lignes.